Le jour le plus court de l’année a été tellement bien rempli que ce post pourrait s’intituler « Le premier jour du reste de ta vie ». Ça sent la fin, ou le début. Solstice d’hiver, c’était hier. Après 2 mois et demi au même endroit, il y a des habitudes, mais pas de routine.
Tout a commencé avec une petite consécration équestre le matin, le genre de moments où j’ai l’impression d’avoir gravi l’Everest (pour vous donner une idée). Sauf que quand tu as gravi l’Everest, tu en redescends, et tu t’attaques à une autre montagne. Mon taf dans cette ferme islandaise est donc officiellement fini depuis ce matin-là. La famille me « garde » pour Noël, mais je n’ai plus franchement grand chose à y faire (je ne vais pas rester pour nourrir les moutons…). Entre joie de la réussite, prise de conscience du chemin parcouru, il n’y a pas d’appréhension de « l’après ». Une chose à la fois, et vivement la suite.
Et passe boire le café !
Et puis, l’après-midi, la banalité d’une invitation à boire le café. Il faut savoir qu’en Islande, c’est une véritable institution, le café. Les Islandais se disent tout le temps « Viens boire le café à la maison ! ». Au début je pensais que c’était l’équivalent de notre « à bientôt », puisque c’est lancé en général pour clore une conversation. J’avais observé le phénomène, mais je ne l’avais pas encore expérimenté « par moi-même ».
Alors quand une cavalière rencontrée au détour d’un chemin de randonnée m’a lancé un « Et passe boire le café ! » en s’éloignant sur son cheval (après 3 échanges essentiellement basés sur un réciproque « j’ai entendu parlé de toi »), mes réflexes de Française se sont réveillés : oui mais quand ? où ? comment ? Pas de jour défini, pas d’heure arrêtée, vas-y débrouille-toi, t’es la bienvenue mais tu sais même pas exactement où. Sans demander un faire-part, c’est plutôt déconcertant cette invitation sans aucune indication précise.
Et mon boss de confirmer : « Ici tout le monde dit ça tout le temps, oui »
« Mais ça veut dire quelque chose ou c’est juste une formule de politesse? » (question stupide, il n’y a quasiment pas de formule de politesse dans le langage islandais).
« ça veut dire, car on le pense ! Si quelqu’un te dit ça, c’est que tu es la bienvenue tout le temps, pas seulement le dimanche entre 14 et 15h, il n’y a pas de restrictions de « quand on serait content de voir les gens » (traduction non littérale…) Tu sais où elle habite, donc si tu veux y aller, tu y vas. » (Bah oui, pourquoi se compliquer la vie ?).
Je m’apprêtais à lui demander (au boss) quand est-ce que je pouvais lui emprunter le 4X4 (celui qui est tellement grand que je dois être sur la pointe des pieds pour gratter le parebrise) mais il a dû deviner que j’en étais encore aux considérations pratiques et m’a devancé : « Tu peux y aller à cheval, c’est moins loin par la montagne que par la route ».
Tu déconnes ?
Non, il ne déconnait pas.
Ce samedi après-midi, me voici donc sur un cheval, comme tous les après-midi en fait, mais pas dans la même direction. J’ai tourné à gauche après le tracteur en panne, et avant la rivière, remonté la colline, trouvé un semblant de chemin praticable entre la neige / la glace / les ruisseaux gelés pour passer sur l’autre versant, et puis j’ai (littéralement) vu de la lumière alors je suis entrée.
Effectivement j’étais la bienvenue. Effectivement la notion d’improviste est, pour les Islandais, plutôt synonyme de « bonne surprise ». Effectivement ça ne posait aucun problème que je vienne à cheval, on a fait de la place pour lui dans l’écurie, il a même trouvé des copains pour papoter et faire connaissance pendant que je faisais approximativement la même chose, une tasse de café en plus (et 3 sortes de pains, confitures maison, beurre fromage oeufs durs saumon fumé cookies de Noël et compagnie. Pour le coup ce serait une insulte de dire que tu n’as pas faim, même si tu n’as réellement pas faim).
Après cette parenthèse, il était temps de rentrer, et, bien sûr en plein hiver islandais, il faisait largement nuit depuis bien longtemps. Quand le cheval redevient moyen de transport à part entière, tu te rends compte que malgré toutes ces qualités, ta monture n’est pas équipé de phares (Darwin mon cul oui). Et que toi, tu as oublié la lampe frontale (Darwin bis… où est ma tête?). Sauf qu’en fait, on s’en fout de tout ça : la nuit n’est pas si noire. Et la situation un peu flippante de « je rentre de nuit sur un chemin que je ne connais pas au milieu d’une montagne que je ne connais pas au milieu de l’Islande que je ne connais presque pas oh mon dieu j’espère qu’il n’y a vraiment pas d’ours » se transforme rapidement en « balade à cheval tranquillou sous les étoiles », sous je ne sais pas combien d’étoiles… Du coup j’avais envie de prendre mon temps. Et le petit cheval n’a pas de phares mais il a un GPS intégré (merci Darwin).
La grande ourse à droite, la rivière à gauche (d’après le bruit), les oreilles gris foncé de mon cheval slalomant plus ou moins dans les amas de neige un peu plus clairs que le reste tout noir. J’ai remonté le chemin tout en cherchant la lune qui n’était pas encore levée, le bruit des sabots cloutés qui accrochent la glace… Le cheval a accéléré le pas, la lumière du lampadaire de « notre » ferme qui se devinait après le sommet de la colline.
A chaque foulée supplémentaire, je réalisais que c’était comme un rêve de cow-boy qui se concrétisait : je venais d’aller boire le café à cheval, gants dépareillés, bottes trop grandes et jean troué. Sans le casque dernier cri sur ma tête, je pourrais presque me croire dans un western. De mémoire, c’est au coucher de soleil que Lucky Luke chevauche en sifflotant son « lonesome cowboy ». Merci de m’avoir laissé la voie lactée.
Raie manta (?) et discours en Islandais
Mais à force de rêvasser entre Goscinny et Cassiopée, j’en avais oublié une autre invitation. Un samedi soir sur la terre, accessoirement le dernier samedi soir avant Noël.
Le genre de soirée où on est une vingtaine autour d’une table avec des rallonges et des bougies.
Au menu de ce genre de soirées, le poisson c’est de la raie (manta ou pas chais pas), la viande c’est du cheval (du poulain même), le tout avec des patates (on change pas une équipe qui gagne) et une sauce huileuse à base de graisse-sortie-de-l’estomac-du-mouton-et-vieillie-tu-comprends-pas-trop-comment-et-finalement-t’as-pas-trop-envie-de-savoir.
Le genre de soirées où, l’alcool aidant peut-être (alcool dans la bouteille avec un volcan vert fluo sur l’étiquette et des « herbes » au fond), on te demande de faire un mini-discours, en islandais bien sûr… Tu t’en tires avec des tirades de bisounours (tout le monde il est beau tout le monde il est gentil), tout le monde est surtout indulgent ce soir-là car personne ne relève les fautes. Tu ne sais pas conjuguer les verbes islandais au passé, alors tu mets toutes les phrases au présent. Ça tombe bien, tout ça est encore un peu présent.
Ça sent la fin, et le début aussi. Solstice. Maintenant c’est officiellement l’hiver, comme si avant ça n’avait été que de la gnognote.
J’ai écrit dessus pour le Dauphiné Libéré dans le cadre de ma rubrique « Une Montilienne au pays des aurores boréales »,
ceux que ça intéresse peuvent lire tout ça là (l’article en PDF) ou là (avec une superbe photo de ma pomme
et de mon bleu de travail doublé moumoute) (voyez ça comme un cadeau de Noël 😉
Eh bien c’est toujours aussi sympathique de lire tes billets islandais. Ça change assurément des billets plus classiques sur les voyages en Islande (qui sont aussi très bien hein, me tapez pas dessus les autres ;-)). Mais ça donne à découvrir une culture qui m’est totalement étrangère. Et à te lire, j’ai l’impression qu’elle correspond à mon mode de fonctionnement. Je suis en effet toujours déçu quand je rencontre un inconnu très chaleureux qui te quitte avec un « c’est quand tu veux, génial ton truc » et quand tu le revois 3 jours après, il ne se souvient même pas de toi. Ça n’était qu’une façade, une formule de politesse.
Et c’est toujours super encourageant de recevoir des commentaires comme les tiens 🙂 Merci vraiment !
J’essaie de ne pas faire de généralités sur la mentalité islandaise, sur les bons côtés, car quand j’en parle avec les gens ici, beaucoup me disent « là tu es dans une vallée où c’est l’exception, on se connait tous, on est amis », ou « c’est la mentalité de ce village, de ce côté de la montagne, grâce à l’usine de poissons », ou bien « c’est l’esprit de solidarité entre fermiers, pas la choix à la campagne »… mais au final, on m’avait sorti les mêmes choses l’an dernier dans le nord. Donc bon. Disons que c’est l’exception partout ? 😉
Mais c’est à double tranchant, aussi. Des fois ils te demandent pas ton avis car ils n’en tiendront pas compte de toute façon, des fois ils y en a qui ne te parlent pas DU TOUT et tu sais pas pourquoi (si c’est dû à toi, ou au climat, au mauvais pied duquel ils se sont levés, à la barrière de la langue, s’ils sont toujours comme ça…). Mais quand ils t’adoptent, ils font pas semblant.
Bref, je veux pas faire de généralités et jsuis pas forcément objective, mais je kiffe bien !
Bonjour,
Quelqu’un qui cite le « lonesone cowboy » ne peut être que quelqu’un de bien! Je suis fier de toi, tu n’as pas trop mal tourné depuis ton passage dans ma classe! Joyeux Noël, Sophie!
Merci, c’est gentil j’essaie j’essaie, je devrais citer lucky luke plus souvent ! Joyeuses fêtes à vous aussi M. Lebrun 🙂 Et merci de me suivre…!
🙂
Bonnes fêtes à toi (et God jul – en suédois, avec un peu de retard. Curieuse de savoir comment tu as passé cette soirée.)
Merci ! Faut que je fasse un post exclusivement dessus, sur Noël. Et sur Airwaves aussi…
Ah ah OUI ! Bon je comprends que parler de ça (Airwaves) presque 2 mois après ne doit pas être super fastoche, le ressenti à chaud s’efface déjà on va dire 🙂
Ah non, pour les ressentis à chaud j’ai pris plein de notes ! (heureusement j’ai une mémoire de poisson rouge)
C’est plutôt trier / choisir les photos le problème. Et trouver le temps tout court 🙂 Le jour où… jte dédicace l’article, hein ! 😉
Prends ton temps ! (faudrait pas qu’on croit que je te harcèle non plus 😉 )