19 août 2017. Reykjavik, Islande. Du bleu polaire par la fenêtre, le vent dans les arbres en ombre chinoise sur le ciel bientôt étoilé à l’est, encore un peu pâle à l’ouest. Il est 22h57, mi-août.
L’été se finit et ça me ravit. Je n’ai aucune idée de quoi l’hiver sera fait et ça devrait me faire flipper. Au lieu de ça, j’écris, allongée sur mon lit. Automne, hiver, peu importe le nom de cette saison pour résumer les prochains mois et les références qui y sont liées.
L’avantage avec l’écriture, c’est que ça reste. Quelqu’un de plus célèbre que moi l’a déjà dit plus joliment d’ailleurs. J’écris tous les jours ou presque, depuis bientôt 4 ans, je relis peu, presque jamais, un jour peut-être, sûrement. Pour rafraîchir les souvenirs, comparer ceux sur papier et ceux qui sont restés.
Il y a un an, c’était la même chose. La même incertitude pour la « saison d’hiver ». Je me souviens, mon ancienne colocataire, célibataire à chats, qui s’inquiétait de me voir ne pas m’inquiéter. Pour « mon avenir ». Comment, mi-août, je pouvais ne pas être stressée de ne pas savoir où j’allais travailler / habiter au 1er septembre. Je me souviens clairement de cette après-midi là, où elle me questionnait. Mon « stress » de l’instant était tout autre, fait d’immédiateté : je n’arrivais pas à trouver de diffusion des épreuves d’équitation aux Jeux Olympiques en streaming, et je m’inquiétais de la météo du week-end, puisque deux de mes amis allaient débarquer en Islande, au mois d’août, et qu’il n’y avait que de la pluie de la pluie et de la pluie annoncée. Echéance : 2 jours. C’est loin, dans 2 semaines.
Il y a deux ans, un autre mois d’août. Je partageais un autre appartement, avec d’autres gens. J’avais déjà pas mal d’incertitudes à cette époque aussi sur « la rentrée de septembre », et pas encore l’insouciance acquise au fil des saisons. Une discussion dans la cuisine, entre la pizza et la vaisselle. Je me souviens d’une phrase prononcée en islandais, puis répétée en anglais, d’un conseil sur quelle option je devrais privilégier, quel travail je devrais choisir. « In the worst case, you will find something else. » (<– cette phrase résume à elle-celle la philosophie des islandais dans à peu près n’importe quel domaine, de la gestion des finances nationales à la vie sentimentale) « Au pire, on trouvera quelque chose d’autre ». A l’époque je cherchais encore à prendre des décisions 15 jours avant en pesant le pour et le contre pendant des heures…
L’année précédente encore, un autre mois d’août. Celui où on a enterré Papi, celui où l’année sabbatique et le voyage se terminaient, celui où la suite commençait. J’habitais un sous-sol, avec des fenêtres trop petites pour voir le bleu polaire entre les branches des arbres, j’allais déménagé 15 jours plus tard mais je ne le savais pas encore. Ce mois d’août-là a été le premier jalon de tous les autres points d’interrogation, et pourtant je ne me posais pas trop de questions à ce moment-là, je ne me doutais pas d’à quel point la suite allait être différente de ce que j’imaginais. Heureusement d’ailleurs.
Et puis l’année d’avant aussi. Août 2013. Le dernier mois passé sur le sol français, du 1er au 31, complet. Le mois d’août des grands déménagements en SNCF (ahah), des machines à laver sur le trottoir d’un restaurant chinois et des chats qui sautent d’un toit. C’était une sacrée coloc ça aussi tiens… Le dernier mois complet en France, celui de tous les flips, celui où j’ai envisagé de me cacher dans un hôtel à côté de l’aéroport et de publier des photos glanées sur google image pour faire croire à tout le monde que j’étais bien partie autour du cercle polaire, alors que non, je me chiais dessus et j’avais juste envie de me reposer un peu (beaucoup). C’était le mois d’août où je disais aux gens que je reviendrais.
(Là vous vous dîtes « elle change tout le temps de coloc dis donc ». Ouaip c’est pas faux. D’ailleurs…)
Ce soir, avec mon coloc devant les news en islandais, dans la maison dans laquelle je vis actuellement, dans la banlieue de Reykjavik, on parlait des incidents de Turku (un petit coin en Finlande, où je suis passée il y a quelques années…) et de Barcelone. Dans toute sa sagesse de mec qui a bossé pas mal en hôpitaux, il me disait en phrases toutes simples (et en islandais) qu’il fallait qu’on soit reconnaissant pour la vie qu’on a, même si tout n’est pas parfait.
(Là je vous balade de souvenirs persos en digression pas très markétée Islande, et vous vous demandez pourquoi. Je n’ai pas la réponse non plus…)
Est-ce que je vis dans le passé ? Non. Pourquoi ne pas plutôt parler du futur, n’ai-je donc point de projets ? Si. J’apprécie le temps passé, sa valeur son innocence sa richesse son ironie son intransigeance ses enseignements. Demain est un autre jour, et je suis impatiente de connaître la suite. Je suis impatiente de voir où ce passé me mènera, comment les différents points du schéma se relieront les uns aux autres, avec le recul qui donnera un sens au tout. Ou pas. En attendant, c’est joli, et d’ici là, j’apprécie.
Je ne me souviens pas vraiment des mois d’août des années d’avant. J’espère que je me souviendrai des suivants.
(et là vous vous dîtes « mais quel est le rapport avec le titre de l’article? » Alors en fait y en a pas je pensais écrire sur l’impression d’être saisonnière mais sans l’être (comme un tournesol), et aussi vous parlez de mon tournesol (celui qui existe vraiment, hein, c’est pas une figure of speech comme dans Game of Thrones) donc du tournesol en pot qui, tous les jours, boit trois verres d’eau, que j’ai acheté au début de l’été dans son petit pot et qui depuis m’a fait 11 fleurs. ça n’en finit pas de m’émerveiller, qu’un tournesol se plaise autant en Islande, derrière sa fenêtre, à l’écurie. J’ai essayé de lui faire passé une aprèm sur le balcon mais il m’a bien fait comprendre que nan, d’un point de vue de tournesol, 18 degrés c’est pas assez l’été. Alors il est retourné sur le plan de travail de la cuisine de l’écurie, juste à côté de la machine à café. A un moment on s’est aussi demandé si, avec le soleil de minuit, il n’allait pas avoir le tournis et la tige se casser à force de torticolis. Mais le solstice est passé et le tournesol est resté droit, à peu près, avec son tuteur-cintre-cassé parce qu’on fait avec les moyens du bord. Et au pire, on trouvera quelque chose d’autre.)

En France, mon « camps de base » était entourée de champs de tournesol. C’est sans surprise que j’aime toujours autant cette fleur, même maintenant que je vis près du cercle polaire.
EDIT Pour la petite histoire, depuis l’écriture de cet article, je me suis cassée la cheville. Je suis donc clouée au lit, la jambe dans le plâtre et des vis dans le pied. Et je relis avec nostalgie et amusement ce brouillon-à-publier-tel-quel, où je m’épanche avec insouciance de ne pas savoir de quoi l’hiver serait fait (ah nan ça c’est sûr tu aurais pu prendre des paris, la vie a repris le scénario original), écrivant innocemment que j’aime l’ironie du passé, contemplant naïvement l’enchaînement des saisons, sûre de mes projets et confiante de ma bonne étoile face à l’imprévu. Ben voilà. Des vis dans le pied. Aujourd’hui j’apprends à gérer mes frustrations, à gérer les nouvelles limites de mon corps, j’apprends à devoir compter sur les autres pour aller faire mes courses, il faut que je m’habitue à être « plus calme plus raisonnable » dans mes mouvements et actions les plus basiques du quotidien. Sortir de chez soi 2 fois en une semaine, et encore avec de l’aide, c’était un truc que je n’avais pas envisager dans le planning de cet automne / hiver. Gérer les effets secondaires de la codéine ne faisait pas partie de mon programme, loin de là.
Et ce n’est que le début. Je ne préfère pas me projeter dans les prochains mois. Surtout pas. Et cette fois-ci, ce n’est plus du tout par insouciance, fini le plaisir du présent. Finie l’insouciance, j’appréhende la suite. Le chemin de la rééducation sera long. Le chemin de l’écurie n’est pas à l’horizon.
Vous allez me dire, vu mon métier, je ne peux pas me plaindre que je ne savais pas, que ça n’arrivait jamais. A vrai dire, je crois que je connais plus de gens qui sont décédés dans un accident de cheval que d’un cancer. Je me lamente sur ma précieuse petite cheville en sachant que ça aurait pu être bien pire, que ça arrive à de bien meilleurs que moi.
Voilà, hiver 2017/2018. Au final, c’est comme tout le reste : ce n’est qu’une question de temps 🙂
Allez, vivement que j’apprenne à marcher en béquilles sur verglas… 😉
Pathologie similaire en Août 2016. J’ ai eu la chance pour finir ma rééducation de rencontrer Ivana.
Siberian Husky qui m’ a fait retrouver le goût des ballades, perdre mon boitillement, retrouver moral et dynamisme.
https://prose-pipe-et-poesie.blog/2017/05/06/ivana/
Pingback: Voeux 2018 : le nuage nacré et la baie vitrée | Au sud du pôle Nord