Instagram d’un plâtre en Islande

3 commentaires
Islande, Vis ma vie en Islande
(Si mon plâtre était un instagrammeur, il serait célèbre pour ses selfies en Islande. Sinon, c’est juste un bout de résine avec des phallus et des chevaux (mal) dessinés dessus.) (texte écrit sous codéine)
Instagram d un plâtre en Islande

J’aime personnifier les objets, ce n’est pas quelque chose que je peux attribuer à la codéine, anti-douleur certes efficace mais liquidifieur de cerveau et boosteur d’hallucinations sensorielles. Il y a un mois, mon péronet se rebellait. Divorce douloureux, rien ne pouvait le retenir, surtout pas le ligament qui a sauté comme une corde de guitare qui lâche dans un dernier (dés)accord.

J’ai découvert depuis que les béquilles ne sont pas fiables sur feuilles mortes, avec également la célèbre variante « se prendre les pieds dans le tapis ». Que d’aventures. Ce plâtre m’accompagne partout, un peu trop partout, jusque dans mes rêves où je cours en m’appuyant sur lui et me réveille de douleurs allongée dans mon lit la jambe surélevée par des coussins et le plâtre résonnant d’un mal silencieux. Ah bon ce n’était qu’un rêve ?

Ma meilleure amie me dit d’ « envoyer des infos positives à mon corps pour le soutenir ». D’habitude c’est moi qui dis ce genre de conneries, la visualisation positive, tout ça tout ça… ça fonctionne tellement bien avec les jeunes chevaux, pourquoi pas avec un os ?

Alors voilà. Mon plâtre et moi on est parti en week-end. Enfin disons que les autres se sont arrangés pour que mon plâtre et moi puissions aller en week-end à la campagne. On a fait des photos. Enfin, j’ai demandé à d’autres de faire les photos. « Nan mais faut que ce soit crédible, comme si c’était moi qui prenais la photo de mes pieds. » Sauf qu’en béquilles c’est pas possible de tenir le téléphone et les béquilles en même temps. Mais le sol était joli, rouge en petits cailloux volcaniques.

J’ai la malléole qui brûle. Il paraît que c’est une des zones les plus douloureuses pour les tatouages. J’ai opté pour le piercing. Interne, surtout, et multiple. Quelque jolie pièce. Acier chirurgical oui oui du dernier cri ça vaut une fortune, très à la mode je vous assure.

J’ai la malléole qui brûle, et ça me mange le talon avec. La douleur qui se déplace par pulsation. Je visualise le tendon d’Achille en train de s’atrophier, un peu plus à chaque pulsation. Ça fait comme une peinture psychédélique sur le plafond en lambris blanc, où le pouls propulse de la couleur en douleur. Genre t’as mal c’est rouge. T’as moins mal c’est bleu. A des moments c’est violet. La partie gauche de ton cerveau s’échappe en inventant des problèmes pragmatiques du genre « mais sur la palette des couleurs c’est pas logique le violet pourtant », comme pour détourner l’attention de cette souffrance immobile et paisible, tellement tangible que tu voudrais la gratter l’arracher y mettre les ongles les dents est-ce que ça pourrait être pire ?

Mais tu es juste allongée dans ton lit, la jambe surélevée dans son plâtre, et rien n’a bougé. Rien n’a bougé depuis des heures, depuis des jours peut-être, et pourtant ça n’arrête pas de tourner.

Les insomnies me mangent le cerveau. Ou est-ce la douleur ? ou bien la codéine ?

Les ami(e)s cavaliers qui me rendent visite dans ma prison dorée me racontent leur péripétie du week-end. Partir en randonnée à cheval dans les montagnes pour faire redescendre les moutons dans la vallée, la tradition de l’automne en Islande. Ça me manque. Je déteste les moutons et je n’ai pas participé (activement) à ce réttir depuis quelques années, mais là ça me manque. Même ces foutus moutons me manquent. Pourtant combien de bleus sur les jambes j’ai pu avoir à essayer de les trier, de lire leur badge à l’oreille. Ce n’est pas aujourd’hui que j’irai traîner ma cheville blessée au milieu de ses bêtes tellement bêtes. Et puis, une fois que les moutons sont rentrés pour l’hiver, vient le tour de la transhumance des chevaux. Autant vous dire que là ça me plaît plus. Que ça me manque encore plus. L’ambiance. Les troupeaux en liberté sur la route et les poulains de l’année qui ont déjà pris leur poil de nounours. L’ambiance, la poussière, les cris, les odeurs, l’alcool, les pulls en laine, la sueur, la peinture décrépie sur les enclos et les hot-dogs.

Ça me manque. Je tourne en rond et tente d’apprivoiser les nouvelles limites de mon corps. Pas facile de négocier. Il y a des bons jours, presque normaux, où je sors de chez moi et profite des gens à l’extérieur. Les bons jours. Il y en a des moins drôles, où je veux quand même sortir et faire comme si tout était normal. La dernière fois ça m’a ramené aux urgences. Je dois refaire mon CV et pour sûr mes 3 défauts je peux déjà cocher têtue et impatiente. Il y a ces jours où le téléphone qui tombe dans l’escalier alors que je venais d’atteindre la plus haute marche représente la dernière épreuve des 12 travaux d’Astérix, alors que je suis déjà exténuée de les avoir monté un fois, et que je suis obligée de redescendre puis remonter. Etre en sueur pour moins que ça. Des escaliers quoi.

Il est 4 heures du matin et j’écris toujours. Le processus de taper sur le clavier semble avoir un peu calmé la douleur. Ou est-ce la codéine qui fait enfin effet ? Pourquoi suis-je encore éveillée alors.

A peine écrire ça et la douleur qui revient. Quelqu’un est en train de faire du xylophone sur la broche en métal dans mon corps. Du tambour à la perceuse. Des castagnettes avec des fers à repasser. C’est comme la craie qui crisse sur le tableau noir, mais ce n’est plus sonore, l’ouie a démissionné, c’est désormais le sens du toucher qui prend le relais. J’en ai mal aux dents.

C’est fou les conneries que la drogue fait dire écrire ressentir.

Je me jette sur mon cachet de codéine. Ça fait déjà 4 heures que je devrais dormir, l’intervalle est suffisant, j’ai le droit.

(texte écrit en grande partie sous codéine, en octobre 2017, lors d’un des pics de douleurs des premières semaines difficiles de convalescence. Depuis ça va mieux, j ai des courbatures quand je fais une demi-heure de shopping mais « ça va mieux »)

 

3 thoughts on “Instagram d’un plâtre en Islande”

  1. Bastide Martine, Jean-Paul dit :

    Ta tante Martine, le 09 février
    On pense à Toi, il y a quelques jours ton père m’a dit que d’après ta kiné tu pourras reprendre le cheval bientôt, je te le souhaite de tout cœur car tu dois être « en manque ». Gros bisous de Jean-Paul et Martine et bon courage pour la reprise du cheval, si tu veux
    donnes des nouvelles

  2. Alors il n’est pas écrit dans « De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages » ce cas spécifique, du coup, tu as droit au bénéfice du doute, d’autant plus qu’on ne s’ennuie pas trop. Par contre, on culpabilise tout de même un peu à sourire intérieurement de certaines jolies tournures, tout en se disant « merde c’est abusé, c’est pas drôle du tout son affaire ». Surtout que j’avais souvenir d’un accident fâcheux, il y a quelque temps et me disait « merde, encore une fois ? ». Mais la chute nous rassure, le plus dur est passé 🙂

    • Merci pour ce commentaire 🙂 c est vrai que se casser la cheville devrait être le conseil numéro un pour rythmer un récit de voyage. On devrait y penser plus souvent. Et puis on pourrait même organiser des blogs trips à l hôpital ou en béquilles et fauteuil roulant ! Ce serait original tu me diras. Y a définitivement un truc à faire là 😀
      (Et à propos de « l’autre accident fâcheux » dont tu te souviens, non non c’est le même. C est juste… long… :/ Mais en bonne voie, merci 🙂

Laisser un commentaire