Intégration en Islande #HistoiresExpatriées

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Quand on me parle d’intégration, je vois ça d´abord d’un point de vue mathématique, des fonctions, des intégrales, des primitives, des intervalles, on parle de linéarité, de continuité, de parallèles et de variables. Et dans la vraie vie ? Ben en fait c’est pareil. L’intégration, c’est une notion á dériver á l´infini, avec beaucoup de variables, en fonction de notions parfois très primitives, et il faut faire attention á certains parallèles, et quel que soit l’intervalle, il y a un besoin absolu d’une linéarité constante mais sacrément relative. Et comme en maths, il y a des règles á suivre, c’est parfois moins compliqué que ça en a l’air, c’est presque artistique tellement c’est á inconnues variables. Et c’est quand on croit avoir tout compris qu’on tombe sur une inconnue relative qui change les paramètres.

Bref, dans le cadre d’Histoires Expatriées (voir en fin d’article), j’ai essayé d’aborder le thème de l’intégration en Islande. Au début je n’étais pas très inspirée, puis j’ai commencé á écrire et c’est parti dans tous les sens 😀 Comment pourquoi, pour qui, par qui, tout ça tout ça. Bienvenue dans un article difficile à structurer et très subjectif.

Rivière gelée en Islande

Ceux qui ont voulu m’aider à m’intégrer en Islande l’ont fait alors que je n’étais encore qu’en voyage, alors même que la décision de rester ici n’avait pas encore été prise. Une intégration parfois subtile parfois très brute, mais progressive.

Je ne pense pas qu´on puisse parler d´intégration si on vit seul sur une île déserte. S´intégrer, c´est par rapport aux autres autour. A quel point on rentre dans des cases, quel écho les autochtones nous renvoient. Premièrement, ça passe par la langue, puis par les cercles sociaux. De mon point de vue, ça demande une certaine constance et beaucoup de résilience. Deuxièmement, il me semble que se sentir intégrée est vraiment très relatif et subjectif, et aussi (et surtout) qu on peut très bien vivre sans être intégré.e.

L´intégration, une histoire de ressentis

C était un samedi après-midi un peu pluvieux un peu brumeux, un ami m avait proposé d aller « rouler très vite dans les flaques de boue sur une piste parce que sa voiture était trop propre » (pour résumer) sur la péninsule au sud de Reykjavík. Au retour, on avait pris un groupe de 3 auto-stoppeurs. Les 3 étaient français d origine, mais vivaient dans des fuseaux horaires différents de chaque coté de l océan Atlantique, et avaient décidé de se retrouver « au milieu », en Islande. Etant eux-même des gens « vivant á l étranger donc étant des étrangers », la conversation avait rapidement déviée sur les aspects très pragmatiques de la vie en Islande. « Et niveau intégration ? Vous vous sentez intégrés ? » Je me souviens qu’on avait répondu en même temps, sans se consulter, un « non » assez franc. On a ensuite « édulcoré » cette négation, chacun á sa façon, chacun avec ses arguments, mais dans l´ensemble, c était quand même un grand NON.

Depuis, ça a changé.

L´intégration : comment rentrer dans les cases, mais en fait pas trop

Bizarrement, j’ai vraiment réalisé mon niveau d´intégration en Islande quand je me suis retrouvée dans des situations difficiles. Parce que tomber sur quelqu´un qui te reconnait un dimanche matin á la supérette de Kirkjubæjarklaustur, á 250 km de chez toi, bon c’est marrant, mais ça ne veut pas dire grand chose en terme d’intégration.

Par contre, quand tu te retrouves au chômage du jour au lendemain, ou plus ou moins á la rue entre 2 locations, quand tu découvres que la jument que tu as achetés 3 mois plus tôt est en fait pleine d un poulain très pressé de sortir (et que tu n’y connais rien et qu’il faut lui trouver une « maternité de luxe hors saison » et en urgence), ou bien quand tu te pètes la cheville et es immobilisée avec la jambe dans le plâtre… Lá tu as envie que les gens se souviennent que tu existes, et qu´ils aient envie de faire jouer leur réseau pour t´aider. Dans ces moments oú le premier sentiment est « oups jsuis toute seule », j’ai été (agréablement) surprise de découvrir des soutiens de la part de gens que je considérais comme de simples connaissances, et qui eux me voyaient comme une amie. Le caractère islandais peu démonstratif n´aide pas forcément á discerner sur qui on peut compter.

J´ai l´impression que le fait de vivre sur une île accélère peut-être un peu le processus. Comme l´intégration passe par les connexions sociales, la sphère des possibles est un petit peu plus réduite. Après tout, il n y a que 350 000 habitants sur ce caillou. Je ne dis pas pour autant que c´est plus facile, que les insulaires sont plus accueillants, nan nan nan (loin de lá, il y a du racisme ici aussi, faut arrêter de croire que l Islande c est le pays des bisounours et qu´ici les étrangers sont accueillis á bras ouverts). Il faut connaitre du monde, ou du moins que les gens te connaissent. Donc comme il y a peu de personnes, ça va parfois plus vite. Je parle bien sûr de mon expérience, notamment dans le domaine de l´équitation. Le nombre de fois oú je rencontre des gens sans avoir aucune idée de qui ils sont, mais qui eux me demandent comment va ma cheville depuis l´accident et si je vais retravailler pour Machin ou pas encore (mais t´es qui toi ?). Est-ce que c’est un signe d´intégration, que les gens aient entendu parler de « celle qui mange et parle bizarre » ? Nan pas vraiment, les Islandais adorent les potins, ça ne veut rien dire du tout.

Si je devais jalonner les étapes de mon intégration en Islande, ce serait comme ça :
– mon premier entretien d´embauche en islandais, mes premières missions en freelance négociées en islandais…
– Puis mon premier voyage á cheval oú j´étais la seule étrangère du groupe (et pas une touriste), ce sentiment mitigé d’être un peu exclue du groupe parfois, même si tu comprends tout ce qui se dit. Par exemple car tu ne connais pas l´histoire incroyable qui a eu lieu il y a 10 ans á cet endroit-lá, que tout le monde se remémore á grands éclats de rire, alors que toi tu ne sais même pas qui est ce Bjössi, pourtant visiblement le héros principal de l´anecdote devenue légendaire ; mais en même temps tu es lá, quand même, avec eux.
– Puis quand on m’a offert une paire d’étriers faite á mes initiales ; ça n’a rien d’exceptionnel en soi c’est un cadeau très classique entre cavaliers en Islande. Mais pour info, la lettre C n existe pas dans l’alphabet islandais, donc c´est du 100% sur mesure, ils ont dû façonné un petit bout de fer tordu juste pour moi.
– Quand j ai été bénévole sur des compétitions équestres á faire la secrétaire de juge (celle qui écrit les notes et remarques du juge, puis les transmet aux dirigeants pour faire les moyennes). On m´avait collé avec le seul juge étranger présent sur l’événement, au début j´étais déçue car je voulais apprendre de nouveaux mots spécifiques en islandais, et au final je lui ai appris des trucs, á mon juge allemand, sur tel cheval qui avait changé de cavalier etc etc…

Et par rapport á l´intégration en France… ?

Sur le continent, mon (ancien) métier m´avait amené á m´installer dans des régions complètement différentes de la mienne. Vous me direz, ça reste la France. Oui mais non en fait. Des coins comme les Ardennes, la Marne, même la Bourgogne… Se retrouver parachuter dans un département que tu ne savais pas placer sur une carte 2 jours avant, ce n’est pas plus facile que trouver son équilibre au milieu d´un désert de lave et de glace peuplé par des gens au langage venu de Mars. T´es loin de ta famille et de tes potes aussi, tu ne connais personne, et les gens ne sont pas forcément plus ouverts d esprit ici qu´ailleurs. « Attends, la Bresse, les poulets de Bresse ? Nan mais quand même, c est un trésor national, comment tu peux ne pas connaitre ? La route des vins, Chagny, Puilly Fuissé ? Nan plus !?!?!?! M´enfin y a pas que les côtes du Rhône dans la vie… bon ok… je te demande pas pour le Bassin minier de Montceau ou le Creusot hein. Mais peut-être le Charolais ? …Ouais c est des bovins, voilá exactement. Ben tu vois que tu vas t´y retrouver ! » Nan niveau intégration, avec le recul je crois que c´était encore plus dur en France car il n´y a pas la barrière tangible de la langue, justement. Tu ne peux pas brandir ostentatoirement un « je pige que dalle de quoi tu causes » pour excuser un décalage culturel, une ignorance géographique, une incompréhension massive devant des pratiques comme, par exemple, des concours de beauté de poulets morts (oui, la Bresse m a traumatisée)(PS j aime le poulet, c est pas la question) ou un sandwich banane-concombre-pesto-beurre de cacahuète (pour l´Islande).

En France aussi, on me faisait tout le temps remarquer mon accent (« du sud » : je prononce les O très ouverts, par exemple dans rose et jaune. Ah oui et les chiffres aussi, j ai un penchant pour le « soixante-ET-quinze », avec la liaison s´il vous plait (je vous jure je ne suis pas la seule á dire ça). Et puis tu ne connais pas telle ou telle expression, tu fais un jeu de mots dans un titre que personne dans la rédaction ne comprend, car visiblement, c´est une métaphore « de ton coin d’en bas lá-bas » (la Marne VS la Drôme, ce choc des cultures…). Pour eux, Montélimar c´est juste une aire d autoroute. Pour toi, la Marne c´est… du brouillard… du champagne. Franchement l´Islande après ça, c´était du gâteau.

Bref, revenons á nos moutons (islandais). Au final, c´est pareil : tu arrives, tu ne connais pas le patois du coin, ni les figures publiques ou ceux qui font les potins, encore moins les bars et magasins « á situer », et comme point de repérage le rond-point de l' »ex-Quick » ça ne t´aide pas beaucoup.

S´intégrer á tout prix : on n´en fait pas un peu trop ?

Dernièrement, il y a eu cette discussion surréaliste sur la nourriture « typique » islandaise á mon boulot. Mes collègues de taf, islandais de sang de famille de passeport, ont déclaré ne pas manger la raie faisandée ni la tête de mouton, encore moins le requin á l’urine (l´Islande, cette terre de saveurs culinaires). Alors que moi je m’en farcis tous les ans. TOUS LES ANS. Depuis 5 ans. Et c est pas que je me plains, nan nan, parce qu´en fait j´y tiens. La première fois, c était clairement un rituel initiatique. Tous ceux á ma table m avaient bien regardé découper la tête de mouton, mon voisin avait insisté si j’étais bien sûre de ne pas vouloir manger l’œil (Nan vas-y fais-toi plaisir). Depuis, je continue, quelque part ça me rend fière, genre « ouais je peux le faire aussi », c est mon privilège, mon sacerdoce. Y a des fois c’est même presque bon. Mais au final, infliger ça á mon palais, ça change quelque chose sur le baromètre très flou de l’intégration ? Suis-je mieux intégrée car je torture publiquement mes papilles gustatives ? Mieux intégrée aux yeux de qui ? Ou c´est juste moi qui brandis mon assiette vide encore luisante de bile de mouton ou d’arrêtes putréfiées, pour me convaincre que si si je fais un peu partie de ce monde de barbares, au moins pour les 5 minutes oú tu t´es servi au buffet. Parce qu’il faut le dire, ces aliments dégueux, je ne les mange pas en mode « popcorn » tranquillou chez moi. Il faut que j’ai un public pour « valider ».

Mais finalement, le fait d´être invitée, année après année, á la même table de la même ferme perdue dans la péninsule, n’est-ce déjá pas un signe suffisant d´intégration ? Ou quand on te propose un bout de requin qui sort du congel, un dimanche matin de compétition, dans le club house au dessus de l´écurie qui sent le café et le crottin, entre 2 tours juste avant d aller relayer les secrétaires de juges sous la pluie… C’est pas assez comme intégration ?

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S´intégrer, est-ce seulement rentrer dans une case ? (chez ma kiné, le seul endroit oú ils ont écrit mon prénom correctement du premier coup).

Et au final, pourquoi est-ce que c´est si important ?

langue islandais

Tentatives d orthographe.

Je n’étais clairement pas intégrée quand j’étais en France dans mes différentes régions d’adoption / de passage. Je ne connaissais personne d’autre, sorti du cercle de mes collègues de travail. Et ça ne me dérangeait pas le moins du monde.

S´intégrer, ce n’est pas se fondre dans la masse, rentrer dans la case. Il y a ce petit coté « faire partie des meubles », on est d´accord. En Islande, pour moi il y a désormais un sentiment confortable de ne plus avoir á se présenter á chaque fois que je vais á l écurie, de ne plus avoir besoin de répondre á la question « How do you like Iceland ? » ni depuis combien de temps je vis ici. Je suis enfin passée de « une étrangère de plus qui aime les chevaux » (1ère année), á « l étrangère qui bosse pour Machin » (2e année), á « la Française qui bosse pour Machin » (3e année), á, enfin, le Graal, les gens connaissent mon prénom (4e année). La dernière fois, durant un stage j ai eu droit á un « ah mais c est toi la Sophie qui travaillait pour Machin ». Yes. 5 ans. Youhou. Un jour ils arrêteront de faire référence á Machin, mais visiblement pour l´instant c´est encore mon ancrage. Soit. Comme me dit souvent un ami très poète, « t´as son nom sur le cul, t´es marqué comme les moutons, au moins on sait á qui tu appartiens », et force est de constater qu’il y a du vrai, dans cette métaphore caricaturale très paysanne, sur le fonctionnement  d’un univers islandais parfois bien bourrin (jeux de mots inclus). Mais bon, j´ai un prénom youhou.

Un prénom que la plupart des Islandais a du mal á prononcer la première fois, confondant avec le Susi (danois, prononcé Souzi) ou le Sushi (japonais ??? allez savoir, j ai arrêté de chercher). Alors je dis « Comme Sofia mais sans le A ». Et surtout ils ne savent pas l’écrire, mais genre pas du tout. Je dois épeler mon prénom assez souvent. Même professionnellement, sur l’intranet de l’entreprise pour laquelle je travaille, ils n’ont pas été capables de recopier correctement le nom inscrit sur le contrat.

Voilá donc pour moi, l’intégration en Islande se résumerait á faire partie des meubles et avoir un prénom. Beaucoup d’intégration culturelle, et disons un peu culinaire aussi. Pour autant, je reste intransigeante sur certaines choses que je n´intégrerai jamais : un croissant, ce n´est pas fourré au jambon ni á l´agneau fumé, même pas pour accompagner le café. Surtout pas pour accompagner le café. Et la baguette de jambon-beurre, tu ne l´as mets pas au micro-ondes. Jamais. Ni pour faire fondre le fromage ni pour « humidifier » le pain. Nan jamais. Point. Et que dire du sandwich banane concombre pesto beurre de cacahuète ? Peut-on vraiment parler de culture á ce niveau ? Je laisse ça á votre jugement…

Harpa, l un des batiments emblématiques de Reykjavik, aux couleurs du drapeau francais.

On est toujours l´étranger de quelqu´un

En conclusion : on peut rentrer dans toutes les cases qu´on veut, en arrondissant les angles, en roulant les R et en mangeant du requin faisandé, on pourra faire tous les efforts, tous les cours d´islandais pour s´intégrer autant qu´on peut, on en restera toujours un étranger, et C´EST TANT MIEUX. Personnellement, en Islande, je sais que beaucoup me considèrent intégrée car je parle la langue, car je suis invitée á des trucs « bien traditionnels », car je participe á des activités oú je suis la seule étrangère (surtout pour les chevaux)… mais au final, je ne suis intégrée que par rapport á ce qu´on veut bien me laisser être intégrée.

Se conformer á une norme culturelle, tout en conservant un brin de différence bien francais, et beaucoup, beaucoup de résilience…

PS : comme vous pouvez le remarquer, j´ai surtout de trés bonnes notions d´intégration en matiére d´accents. Mes confuses.

expatriée en islandeArticle écrit dans le cadre d ‘ #HistoiresExpatriées, un rendez-vous mensuel des blogueurs expatriés initié par Lucie d’ Occhiodilucie expatriée en Italie.

Chaque mois, un parrain propose un thème, et les blogueurs inspirés participent en publiant un article le 15 du mois. Pour décembre 2018, c était Eva du blog Frenchy Nippon, sur le thème « l intégration ». 🙂

4 thoughts on “Intégration en Islande #HistoiresExpatriées”

  1. J’ai vraiment aimé ton poste. Et j’ai pensé à ce que tu à écris juste avent de le lire: parfois c’est plus difficile de s’intégrer dans une région de son propre pays que dans un pays étranger. Je pense que c’est aussi un peu la raison pour laquelle j’ai cherché plus tôt du contacte avec des locaux. Trop des références que je ne comprends pas, car j’ai passé mon enfance et adolescence en bougeant. Une fois accepté ça, les choses deviennent beaucoup plus facile.

  2. Superbe intro d’article (je suis une matheuse alors forcément, ça m’a interpellé de savoir où tu voulais en venir avec tout ça) et super développement. Cela part peut-être dans tous les sens, mais le fond est là. L’humour (le détachement ?) avec lequel tu racontes ton quotidien islandais m’a transportée ! Merci !

  3. Merci pour cette participation, vraiment un chouette article ! J’aime aussi beaucoup l’humour et les petits détails de ton quotidien islandais 🙂 Au bout d’un moment on n’a plus besoin de faire trop d’efforts niveau pour s’intégrer car comme tu le dis de toute façon on restera étrangère. Je pense que c’est le cas peu importe le pays.
    N’ayant jamais vécue ailleurs qu’en Alsace quand j’étais en France,je ne m’étais jamais posé la question de l’intégration par rapport aux autres régions françaises alors qu’elle se pose effectivement, merci de cette piqûre de rappel.

  4. 3kleinegrenouilles dit :

    Je viens de découvrir ton article et c’est vraiment très intéressant de lire ton ressenti sur l’intégration (je vis en Allemagne, alors forcément le thème me parle).

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