Nouvelles du front : 3 ans après. Celle qui reste

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Islande, Vis ma vie en Islande
Le blog se meurt. Du moins de mon côté. Car bizarrement vous n’avez jamais été aussi nombreux à me lire. Pourtant quand je veux écrire un nouvel article et me connecter à wordpress, je dois me résoudre à cliquer sur « mot de passe oublié » après avoir tout essayé et rééssayer, avant de me rendre compte qu’en fait même mon identifiant était faux… Bref.
received_10210349924371405Où en étions-nous ?
En Islande ?
Bon ben ça n’a pas trop changé.

Remettons les pendules à l’heure.

Je suis celle qui reste.

Début septembre 2013, je débarque en Islande avec un sac à dos de 60 litres, pensant démarrer une année sabbatique et voyager jusqu’au détroit de Béring.

Fin novembre 2016, je vis à Reykjavík.  Lui, les yeux au plafond à déblatérer sur la laideur du lustre de ma nouvelle chambre, et qui enchaîne sur ses projets « d’aventure », à savoir… poursuivre ses études au Danemark. Ça me fait rire qu’il voit le Danemark comme une aventure (mode condescendant ON). Mais je me souviens que pour moi, c’était son pays, l’Islande, mon aventure. Et je me souviens très bien que j’en parlais pendant des soirées entières, affalée sur un canapé à fumer des clopes et faire des plans sur la comète. Et je me souviens très bien que la personne qui m’écoutait ne voulait pas que je parte. Parce qu’égoïstement on veut garder ceux à qui on tient. On ne veut pas les voir partir, même si c’est pour leur bien. Même si c’est pour l’ « aventure ».

Maintenant je suis celle qui reste et qui regarde les autres partir. C’est assez nouveau pour moi j’avoue comme sentiment. J’ai toujours plutôt été celle qui fait des pots de départ (ou surtout qui n’en fait pas) et des dépendaisons de crémaillère. Celle qui part. Qui « part à l’aventure », qui aime les découvertes, qui collectionne les premières fois.

Borgarnes dans les nuages

Premières fois. Comme mon premier Noël en Islande. Il y a 3 ans. Comme mon premier job payé en Islande. Dans cette bourgade au milieu du fjord avec l’église si photogénique qui fait de jolis premiers plans pour toutes les photos que je prenais encore à l’époque en me disant « tu auras des fonds d’écran pour le restant de ta vie ». Depuis, 1) je ne travaille plus sur ordinateur pas besoin de fond d’écran merci, et 2) j’y suis rentrée dans cette église, pour un enterrement. Du coup j’ai moins envie d’en faire un fond d’écran.

Il y a 3 ans c’était aussi mon premier Þorrablót et la première tête de mouton où mon voisin de table voulait manger l’oeil (mais je vous en prie). J’y suis déjà retourné 3 fois, à ce repas traditionnel de fin janvier / début février, organisé dans une salle des fêtes au milieu de rien, et maintenant je comprends les blagues de l’animateur sur les fermiers de la vallée. Les cours d’islandais finissent par payer… Trois ans après. A la table des fermiers pour qui je travaillais, on me traite comme « l’esclave affranchie », une invitée. Et je savoure le privilège (et le pâté de couilles)(gastronomie islandaise bonjour) tout en m’amusant à écouter mon ancienne-boss-la-mégère raconter aux voisins de tablée qui le savent tous déjà que « maintenant elle travaille avec Machin, oui oui l’entraîneur, à la ville ».

Les choses changent si vite.

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Le Machin en question, c’est le moniteur d’équitation (dont je parlais un peu ici) qui m’a finalement proposé de travailler pour lui (l’offre d’emploi sous aurore boréale un soir de Kp9…!). Une collaboration qui a beaucoup évolué en (déjà) 2 ans. Evolué en bien, puisque sur ses recommandations, j’ai récupéré une partie de ses clients, pas mal de confiance en moi et une légitimité toute relative (de « une étrangère dans les chevaux pfff une de plus », je suis passée à « l’étrangère qui bosse avec Machin oui elle est française truc comme ça, elle parle et mange bizarre »)(croyez-le ou non mais ce passage n’est pas une caricature).

Mais la collaboration a aussi évolué en « moins bien »… Les exigences légitimes du mentor et des débuts si stimulants, sont insidieusement devenues crises de colère, d’égo. Le tout d’autant plus confus qu’agrémenté de deuil, puisqu’un jour Machin-le-mentor a dû échanger le pantalon d’équitation élimé au cul contre un costard cravate bien noir, par un jour ensoleillé comme il y en a peu en Islande, pour aller s’asseoir au premier rang à côté d’un cercueil blanc. Mon premier enterrement islandais. Le genre d’enterrement où les vitraux sont trop immenses et trop lumineux, le genre d’enterrement où il y a des chevaux et des drapeaux en haie d’honneur devant l’église, et où la couleur des chevaux a plus de signification que celle des drapeaux ; le genre où les proches du défunt font un concert en ouverture de cérémonie. Le genre où tout le monde va mettre des mois à s’en remettre. Le genre où le cercueil était pourtant annoncé depuis des années déjà (toi aussi étoffe ton vocabulaire et apprends à dire « cancer » en islandais)(le plus drôle c’est que c’est le défunt qui m’apprenait plein de nouveaux mots et expressions en islandais)(si c’est drôle).

Bref, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, même dans un paysage parfait islandais.

Et puis les choses changent. Et ce n’est la faute de personne.

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Je suis celle qui reste. Je suis celle qui va aux enterrements.

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Et j’aime toujours l’Islande.

Et vous savez quoi ? J’aime aussi toujours la France.

Aller en France. En vacances. Quel luxe. Voilà, je suis « rentrée au bled » en novembre dernier.

Cinq semaines de véritables congés, le tout avec un stage d’équitation au début et un autre à la fin, histoire de faire passer les billets d’avion et compagnie en frais professionnels. Oui, ma comptable est mieux que Ben Affleck #TheAccountant.

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Des vacances en France. Manger des éclairs au chocolat, faire du shopping et des restos en terrasse (novembre dans le sud de la France 😉 Prendre des trains et voir les couleurs de l’automne dans les vignes et les forêts (deux trucs qui n’existent pas en Islande). S’amuser des noms de cocktails à inspiration islandaise (le Blue Lagoon, vodka curaçao) et pousser la schizophrénie jusqu’à être en manque de cafés à emporter, une habitude que j’ai pris… en Islande.

Et le moment de confusion à essayer de répondre à la question « Et tu passes chez toi ?  » Attends, de quel chez moi tu parles… ? Tout dépend de qui pose la question, une histoire de référentiel. Mais toi, c’est l’Islande, le « chez toi ». On m’avait prévenue, « tu ne seras jamais de là-bas et plus jamais d’ici ». Mais tellement. Lire les mots de Lucie, croisée il y a 3 ans au début de nos « aventures » respectives. Voir le chemin parcouru.

Se sentir toujours et malgré tout sur un strapontin, un siège un peu éjectable. Et pourtant, ça fait plus de 3 ans. Comme me l’a fait remarquer un ami en France, ça fait d’ores et déjà plus longtemps que je suis en Islande que le temps passé dans ce CDI de journaliste, poste que j’ai quitté pour… l’ « aventure ». Ahah, si on m’avait dit que mon aventure allait m’amener chez la comptable et à des enterrements dans des églises photogéniques… Ah oui aussi mais je vous ai pas dit ! Je me suis achetée un dadoudinou ! Islandais, of course, puisqu’il n’y a que ça autorisé sur le sol ici. Une petite jument, avec une jolie couleur et plein de crins. Et là, surprise, deux pour le prix d’un (Happy hour!), mademoiselle Grumeau (oui c’est son surnom, à ma jument islandaise) elle était pleine mais personne ne le savait (très trop courant en Islande) et hop un petit grumeau poulain sur les bras ! Youhouh ! En vrai ce n’est pas une bonne nouvelle mais c’est comme ça.

J’essaie à tout prix de ne pas devenir comme toutes ces filles qui ne savent plus parler d’autres choses que de cheval. Pourtant, j’avoue, la coiffeuse me demande en riant pourquoi j’ai du foin dans les cheveux (parce que j’étais en retard !!!), et je papote élevage et pedigree jusque chez le médecin, pendant qu’il me prescrit des anti-inflammatoires… après une chute de cheval bien sûr.

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Même plus de 3 ans après, il m’arrive encore de corriger mes proches qui évoquent « ton voyage », « ton aventure », « ton séjour ». Nan, c’est juste ma vie en fait. Il y a une routine aussi. Tu vas au boulot tous les matins, tu payes des factures… T’as une jolie vue de ton balcon et tu portes des tongs avec un bonnet (parce que y a pas moyen, août c’est l’été). Tu manges une glace tout le temps quelle que soit la température, tu rencontres des gens que tu connais chez Ikéa (d’ailleurs tu vas chez Ikéa. Même avant tu faisais pas ça). Tu aides des potes à déménager, et tu te surprends à développer un côté « snob condescendant », par exemple quand un nouvel arrivé en Islande s’exclame lyriquement « je peux mourir après une telle aurore boréale », j’ai envie de lui dire « t’as encore rien vu, jeune padawan ». Blasée des aurores, moi ? Loin de là. Mais beaucoup beaucoup plus exigeante qu’avant, ça c’est sûr.

La part d’aventure dans tout ça ? Hummm… Publier sur un groupe facebook d’expats un avis de recherche pour du Vicks Vaporub en Islande, ça compte ? (J’ai eu plein de réponses de gens compatissants comme moi…)  Et puis il n’y a pas si longtemps, je me suis retrouvée à faire du stop dans un village-station-service car les bus ne circulaient plus pour cause de tempête de vent (encore une fois…). Moi et ma valise sur le bord de la route, juste en face du panneau d’affichage où la température baissait de 2 degrés tous les quarts d’heures. J’ai attendu 45 minutes et au début il faisait 3°C (je vous laisse faire le calcul), et alors que je sautillais pour me réchauffer en attendant qu’une voiture passe (même pas « une qui s’arrête », nan, juste un véhicule qui passe devant moi et ne tourne pas 50 mètres avant sur ce qui semblait être l’artère principale la seule rue de ce bled moche du sud de l’Islande)(oui, il y a des bleds moches en Islande). Donc je sautillais, hop hop pas chassés et je vous passe la chorégraphie, tout en me répétant « ok il neige et à l’horizontale mais au moins la neige arrive dans ton dos ça pourrait être pire tu pourrais l’avoir de face et il pourrait même grêler ». (3 minutes plus tard) « Ok maintenant il grêle mais au moins c’est toujours dans ton dos merci le vent et oui ça pique un peu les jambes mais il paraît que le froid c’est bon pour la cellulite bon ok t’as pas de cellulite sur les mollets mais voilà faut se dire que c’est préventif et puis au moins les gens ils auront pitié de la pauvre auto-stoppeuse sous la grêle enfin il faudrait déjà qu’il y ait des gens qui passent pour que quelqu’un ait pitié de toi parce que là à part le thermomètre qui se fout de ta gueule à continuer à descendre oh mon dieu une voiture vite vite sors ton pouce sors ton pouce de ta poche-de ta manche-de ta deuxième manche mais putain pourquoi t’as pas pris une paire de gants? » (tu la sens l’aventure, là, c’est bon ? Je peux retourner manger des glaces et me plaindre du prix des tablettes de chocolat, oui ? 😉

Tout ça pour dire qu’il paraît que le voyage importe plus que la destination, mais en fait nan, je doute que cet épisode de « faire du stop sous la grêle dans un village moche en Islande » restera le souvenir dominant de cette « aventure-là de début janvier 2017 ». Car ma valise et moi, on était attendu 350 km plus loin, pour participer au tournage de… Game of Thrones en Islande !!! Un jour je vous raconterai si ça valait la peine de me geler le pouce et l’arrière des mollets.

J’en étais où déjà ? Ah oui, qu’est-ce que j’y suis bien, sur mon strapontin.

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(et bonne année au fait 🙂 

6 thoughts on “Nouvelles du front : 3 ans après. Celle qui reste”

  1. christel Lamy dit :

    Super de lire des tes nouvelles. Tres belle annee 2017 a toi aussi.
    Profites a fond de la vie, n importe ou est la destination ou le chemin, c est l instant present qui compte.
    Bisous
    Christel

  2. Bastide/Cariven Martine dit :

    Bonne Année ma Belle nièce, continue à être heureuse . J’espère qu’à ton prochain voyage en France on pourra, enfin, ce voir. Grosses bises de Jean-Paul et Martine

  3. Marc Lebrun dit :

    Bonne année Sophie, ça fait toujours plaisir d’avoir de tes nouvelles et de voir tes photos!

  4. Bonjour, ça serait dommage que ton blog meurt, car il est sur beau et bien fait. je peux comprendre cependant que tenir un blogue à date c’est beaucoup de temps et de travail. Merci pour les bons conseils que tu nous a donnés pour note passages en Islande. Nous sommes globe-trotter et notre blogue nous prend également énormément de temps. Si tu désires tu peux nous suivre sur notre page Facebook à bbobjectifterre. Au plaisir de te compter parmi nos fans Facebook. Bertrand et Brigitte.

  5. J’aime ta façon de raconter les choses 🙂
    Je suis rentrée d’Islande hier justement et te lire aujourd’hui prolonge un peu plus mon voyage… merci, bonne suite à toi et bonne année !

  6. Oh ? Je découvre ton blog quand il « se meurt » ? Quel dommage. Je pense que la vie reste une aventure, même quand on arrête de bouger. J’espère te relire bientôt !

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